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[Zoom] Arrivée des véhicules électroniques : quand le métier de mécanicien fait sa mue

Rédigé par leral.net le Samedi 21 Août 2021 à 20:53 | | 0 commentaire(s)|

L’introduction de véhicules plus sophistiqués accordant de plus en plus de place à l’électronique, impose une nouvelle expertise. Si certains s’appuient sur l’expérience, l’instinct et les rudiments de la langue française, d’autres expriment une forte demande en formation. Dossier réalisé par Demba DIENG (textes) et Mbacké BA (photos) Le trafic est fluide en cette matinée […]

L’introduction de véhicules plus sophistiqués accordant de plus en plus de place à l’électronique, impose une nouvelle expertise. Si certains s’appuient sur l’expérience, l’instinct et les rudiments de la langue française, d’autres expriment une forte demande en formation.

Dossier réalisé par Demba DIENG (textes) et Mbacké BA (photos)

Le trafic est fluide en cette matinée du jeudi 12 août sur l’autoroute. Les véhicules roulent à vive allure. À côté des bus, car rapides et scooters, on constate le défilé de plusieurs voitures de luxe. De grosses cylindrées (des 4×4 et 8×8) de marques allemande, française, américaine… On est bien loin de l’ère des R5. Le parc automobile se renouvelle. La fulgurance du progrès technique et technologique est visible sur les routes. Témoin de la vieille époque, les cars rapides attendent de faire le plein à la station-service de Niayes Thioker. Derrière eux, deux véhicules nouveau modèle, de marque allemande, convergent vers le garage de Cheikh Thioub. Un vaste espace aménagé et clôturé offre la chance à une dizaine de jeunes de faire valoir leur expertise. L’ambiance y est bruyante. Ça travaille. Le contact de deux métaux provoque un bruit assourdissant. Zen, un jeune d’à peine 27 ans vérifie le parallélisme des deux pneus. Dans un coin, l’un des patrons, Fara Faye, explique à un des ses apprentis les secrets du branchement électrique. Celui-ci écoute religieusement les conseils du maître. Il le faut, selon lui. L’homme arborant des lunettes au reflet bleu estime que tout a changé avec l’arrivée des nouveaux modèles de véhicules très sophistiqués. « Rien n’est plus comme avant. On passe petit à petit du manuel à l’électronique, à l’automatique. Tout se joue désormais dans la tête. Il ne suffit plus d’être musclé ou endurant », chahute-t-il. À l’en croire, maintenant, dans la réparation des nouveaux types de véhicules, le mécanicien n’a plus besoin de se fier à son instinct pour « situer la panne ». « Avec les anciens modèles, on démontait automatiquement le moteur pour le diagnostic, mais aujourd’hui, c’est le véhicule lui-même qui nous communique l’anomalie à partir des écritures, des sons et des signes ; ce qui nécessite des rudiments en langue française [ou en anglais] », explique-t-il. Son collègue, Cheikh Thioub, propose de compléter. « Ça a l’air facile, mais c’est compliqué en fait. Pour les anciens modèles, il faut suivre uniquement une méthode de diagnostic, mais aujourd’hui, il faut en plus du flair et une maîtrise de la langue et des nouvelles technologies », indique-t-il.

L’école et l’expérience font la différence

Magatte Mbengue a fait des études jusqu’en classe de 4ème au collège. Ainsi, il sait lire et écrire. Avec l’introduction des nouveaux modèles de voitures, le mécanicien a très tôt senti le coup. Ainsi, il a quitté le garage de mécanique générale pour aller acquérir de nouvelles connaissances chez un chef de garage très au fait des mutations et utilisant les machines de diagnostic. Cela lui a permis de maîtriser les techniques des deux écoles. « Pour les anciens modèles de véhicules, il suffit juste de suivre le circuit. Mais maintenant, la machine dialogue avec nous. Donc, il faut être doté d’une capacité d’écoute et d’un bon niveau en français pour s’en sortir. Le « lamp check » qui localise les anomalies nous spécifie la panne. Et après, il faut saisir le code affiché, aller sur Google pour avoir plus d’informations », dit-il, smartphone à la main. Cheikh Faye revendique une expérience de 18 ans dans le métier. Aujourd’hui, son diagnostic est sans appel. « Il faudra beaucoup d’efforts pour les jeunes afin de s’en sortir. Actuellement, le métier a changé et certains d’entre nous peinent à le saisir. Ils se suffisent des anciennes méthodes sans avoir l’ambition de se mettre à niveau. Il faut qu’ils sachent communiquer avec la machine ; ce qui nécessite curiosité, expérience et remise en question », suggère le mécanicien. Son camarade de Poste Thiaroye, Ibrahima Mandiang, en souffre énormément. Analphabète, il se fie à ses capacités en langage des signes. Si ça se corse, il fait recours à plus doué que lui. « Le tableau check communique via des textes et des images. Je le reconnais, j’ai des limites par rapport aux véhicules nouveaux modèles, car je suis analphabète, mais à force de fréquenter des camarades expérimentés, je me perfectionne », dit-il.

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Le métier de mécanicien devient plus rentable

Les mécaniciens sont obligés de s’adapter à un travail qui ne demande pas un important effort physique, mais qui fait appel plus aux capacités intellectuelles. Du coup, financièrement, le gain est plus important du fait de l’augmentation des frais de main-d’œuvre. « Les revenus sont plus intéressants avec les nouveaux modèles de voitures. Les pièces détachées sont chères. Après réparation ou montage, on peux se retrouver avec un gain de 15 000 à 30 000 FCfa alors qu’auparavant, c’était entre 3000 et 10 000 FCfa », souligne Abdou Diouf, debout à côté d’un véhicule 4×4 de couleur grise. Fara embouche la même trompette. À son avis, le métier de mécanicien s’anoblit avec les véhicules électroniques, permettant ainsi aux mécaniciens de gagner plus. « Une nouvelle ère s’ouvre. Celle du progrès technique. Les automobilistes sont jaloux de leurs véhicules de luxe. Ils déboursent le montant qu’il faut, afin que les outils soient en bon état. Du coup, un mécanicien peut gagner jusqu’à 20 000 FCfa, voire plus par jour. Ils sont différents des taximen qui peinent à débourser 10 000 FCfa », rigole-t-il.

À côté de l’expertise, le diagnostic par machine fait recette. En cas de difficulté majeure, les mécaniciens sont obligés d’y recourir, moyennant 10 000 à 20 000 FCfa par prestation. « Ceux qui ont des machines de diagnostic se frottent les mains. Rien que pour un diagnostic, ils empochent entre 10 000 et 20 000 FCfa, soit entre 100 000 et 200 000 FCfa par jour », souligne Lamine Faye, mécanicien au garage de Niayes Thioker. Toutefois, la plupart des mécaniciens sont bloqués par la cherté des appareils coûtant entre un et trois millions de FCfa. « Tous n’ont pas la possibilité d’acquérir cet appareil, car c’est difficile pour un artisan qui vit au jour le jour de rassembler cette somme », regrette Lamine.

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Une forte demande en formation

À nouvelle ère, nouvelles méthodes et nouvelles exigences. Baïdy Faye en est convaincu. Mécanicien à Poste Thiaroye, il redoute la perte de parts de marché à cause d’une expertise limitée. Ainsi, son vœu le plus ardent est d’avoir l’opportunité de se former. Il interpelle l’État à ce niveau. « Nous voulons être formés en fonction des évolutions technologiques tout en ayant une bourse qui permet de subvenir à nos besoins. Les nouveaux modèles de véhicule requièrent de nouvelles techniques. Donc, la formation est incontournable », note Baïdy.

Patron de garage, Moustapha Mbengue sent aussi la nécessité de se mettre à niveau. « Le monde progresse. Même si je sais lire et écrire et que j’ai plus de 10 ans d’expérience, je veux me former pour m’adapter au contexte et aux changements », prévoit le mécanicien.

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Cheikh Thioub, une synthèse des deux écoles

Sans formation requise pour les nouveaux modèles de voitures, Cheikh Thioub parvient à tirer son épingle du jeu dans son métier de mécanicien, comptant sur son instinct, son expérience et les compétences acquises en 18 années d’activité.

Après des heures d’effort, Cheikh Thioub est à l’aise sous un grand arbre, à l’intérieur de son garage à Niayes Thioker. Les jambes croisées, il a devant lui plusieurs marques de véhicules. La plupart sont des nouveaux modèles. Malgré tout, il s’en sort bien techniquement, bien que n’ayant pas reçu de formation. Il se fie à son instinct et à son expérience. « Rien qu’en entendant le bruit du moteur, je peux identifier la panne », dit-il, serein, entouré de ses lieutenants. L’homme au teint noir capitalise 18 années d’expérience en mécanique. « Lorsque je débutais, nous ne réparions que des véhicules manuels. C’était l’ère des R5, des R12 et des 305 », se rappelle-t-il d’un air nostalgique. Aujourd’hui, la donne a changé, la plupart des voitures qu’il accueille dans son parc sont des automatiques. Cependant, il parvient à contourner les difficultés, misant sur son expérience et son « intelligence ». « On ne peut plus le nier, notre métier prend une nouvelle orientation, suivant le rythme du développement technologique », reconnaît-il. Pour tirer son épingle du jeu, Cheikh mise sur l’expérience et un apprentissage dans le tas. « Avec mon faible niveau d’études, les débuts étaient compliqués. J’étais obligé de me débrouiller en essayant de décrypter les images affichées par le tableau de bord », se rappelle-t-il. Avec le temps, il apprend à lire et même à taper les codes de diagnostic sur Google pour localiser la panne et la réparer. « Le véhicule, quelle que soit la marque, est devenu mon affaire. Tel un médecin qui se base sur vos symptômes pour spécifier votre maladie, le bruit du moteur ou d’un autre organe suffit pour un diagnostic à l’œil nu », se glorifie-t-il. Synthèse des deux écoles, Cheikh Thioub se réjouit d’un marché plus intéressant. « Le gain est plus important. Les automobilistes se soucient désormais du bon état de leur moyen de transport et n’hésitent pas à payer une main-d’œuvre de qualité à 30 000 FCfa, voire plus », ajoute-t-il. Ainsi, l’homme de 46 ans qui a profité de cette activité pour construire une maison compte bien gagner plus d’argent pour prendre en charge ses deux femmes et ses enfants.

L’équation des pièces de rechange 

 

Même si la main-d’œuvre a évolué par rapport à l’époque des anciens modèles de véhicules, la disponibilité des pièces de rechange constitue un grand problème pour les mécaniciens. Si la pièce recherchée n’est pas disponible aux marchés habituels que sont Thiaroye, Rufisque et Difonsé, il faut faire la commande à l’étranger. Cheikh Thioub en souffre parfois. Il a récemment émis une commande de crémaillère en France. « Presque tous les nouveaux modèles de véhicules ont un « full option » qui nous pousse à recourir au pays de fabrication du véhicule pour disposer de pièces de rechange », explique-t-il. La grande difficulté avec cette option, c’est la cherté des pièces et les longs délais de livraison. « La dernière commande a duré deux semaines. Les délais peuvent être plus longs, nous forçant à immobiliser le véhicule pendant des mois. Une seule pièce peut coûter 100 000 à 150 000 FCfa, voire plus », ajoute Cheikh. Ses plaintes sont partagées par Fara. Le mécanicien spécialisé dans les nouveaux modèles de véhicules souligne que pour plusieurs marques, telles que Mercedes, Kia, Ford et Bmw, il faut nécessairement solliciter le pays d’origine. « Toutes les pièces de rechange ne sont pas disponibles dans les marchés que nous avons l’habitude de fréquenter. Pour les crémaillères, entre autres organes, il faut émettre des commandes à l’étranger et patienter, quel que soit le délai de livraison », indique-t-il.

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BABACAR SÈNE, FORMÉ L’ONFP

Du garage mécanicien à la télévision

Babacar Sène a été initié à la mécanique au début des années 2000 par son père. Après cette expérience, il a été recruté par une entreprise. Au bout de quelques années, le natif de Pikine sent le besoin de s’adapter aux nouvelles technologies. Dès lors, il opte pour une formation en évolution des systèmes de carburation et électronique en suivant des sessions suivies au lycée technique Maurice Delafosse et pilotées par l’Office national de la formation professionnelle (Onfp). « Ça m’a beaucoup aidé dans ma vie professionnelle. En dehors des connaissances et aptitudes acquises, elle a suscité une curiosité intellectuelle et professionnelle chez moi. Actuellement, je continue le perfectionnement à travers des cours en ligne, l’enseignement par des tutoriels et des logiciels », dit le mécanicien de 45 ans. Aujourd’hui, en plus de ses interventions dans son garage niché à la cité Douane, il s’est mué en « maître de la mécanique » grâce au génie de la télévision. Depuis 2016, il anime l’émission « Pannes dans l’automobile » diffusée le dimanche soir sur la Rts2.

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DR SOULEYMANE SOUMARÉ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ONFP

 

« Nous avons un programme de formation de 1000 jeunes aux métiers de l’automobile »

 

Dans cette interview, le Directeur général de l’Office national de formation professionnelle (Onfp), Dr Souleymane Soumaré, explique que son établissement déroule actuellement un programme de formation de 1000 jeunes aux métiers de l’automobile.

Le parc automobile se modernise. Est-ce que l’Onfp intervient dans la formation des mécaniciens ? 

En effet, l’Office national de formation professionnelle (Onfp) intervient dans ce sens. Au début, les formations étaient plutôt axées sur la mécanique des moteurs, l’électricité automobile et la carrosserie/peinture. Mais, avec l’avènement des véhicules électroniques dits « intelligents », la demande de formation s’oriente de plus en plus vers la mécatronique (application de l’électronique, l’automatique et l’informatique à la mécanique), qui permet, aujourd’hui, aux mécaniciens de mieux faire face à ces nouveaux défis de leur métier.

Qu’est-ce qui est prévu pour doter les mécaniciens d’outils de pointe ? 

Les formations et les évaluations faites, nous donnons à nos bénéficiaires méritants, chaque fois que cela est possible, des kits de matériels pour faciliter leur insertion professionnelle. Nous pouvons également leur octroyer les matériels pédagogiques non fongibles acquis pour les sessions de formation.

Les mécaniciens sont, bien sûr, concernés. De plus, la signature d’une convention avec la Der/Fj pourrait aussi servir à équiper des mécaniciens organisés pour appuyer leur auto-emploi à travers des business plans élaborés dans le cadre des formations.

Quelles sont les perspectives ? 

Les besoins en formation sont réels dans le domaine de l’automobile, d’autant plus que les statistiques de 2019 donnent un effectif de plus de 800 000 voitures à Dakar. Actuellement, nous avons un programme de formation dans les métiers de l’automobile en faveur de 1000 jeunes. Une analyse du marché de l’emploi montre que, parmi les métiers porteurs d’insertion professionnelle, figurent en bonne place ceux du domaine de l’automobile qui sont pour la plupart dans le secteur informel. Á cet effet, l’Onfp va élaborer des référentiels de titres professionnels sur les métiers de l’automobile : mécanique moteurs, électricité/électronique, froid/climatisation, carrosserie, tôlerie, peinture, lavage/graissage, vulcanisation de pneus. Ces référentiels seront validés avec le concours de tous les acteurs qui interviennent dans l’automobile (professionnels, formateurs, artisans, Ministères techniques…).



Source : http://lesoleil.sn/zoom-arrivee-des-vehicules-elec...